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"Nous allons bientôt avoir cinquante ans. Une farce.
J'ai voulu construire, ériger des fondations, pallier l'intangible de mon existence. Je n'ai fait que m'enliser. Je tendais vers ton équilibre, ta solidité. D'où te venaient-ils ? Une famille rescapée des marécages. Des spectres frayant avec tes grands-parents, ton père et ta mère. Persécutés en Grèce, en Arménie, les tiens puisent leur force de l'horreur qu'ils ont fuie. Petite, j'aurais échangé votre passé contre le mien. Des générations attachées à la même terre. Perverties par l'immobilisme. Tes enfants ont-ils hérité de cette résistance ? Que lèguerai-je aux miens ?
On traçait les plans d'une maison, tu la voulais dans la plaine, moi dans la montagne. Je voyais une rivière, tu imaginais des dansgers, des noyades, des torrents dévastateurs. Tu étais la prudente, moi la téméraire.
A la mort de ton père, j'ai fui ton chagrin et t'ai déçue. Vous deviez rester les joyeux, j'étais l'inconsolable. De quoi ?"
Cela faisait des semaines qu'aucun texte ne retenait mon attention ; j'ouvrais, lisais, puis glissais, doucement, je me raccrochais puis glissais de nouveau, pour de bon. Impossible de tenir. Et celui-ci. Vu sur la table des nouveautés. Prénom et nom m'ont attirée. Kéthévane Davrichewy, pensez-vous. Un rond, pensez-vous. Et ce titre : Les séparées. Empoigné, je l'ai ramené, posé, ouvert puis dévoré. Cécile parle à Alice ; Alice parle à Cécile ; qui parle de qui ? Chacune se parle, livre son intérieur et plonge subrepticement vers le vrai, que bien souvent nous nous cachons et dissimulons aux autres pour... avancer ? grandir ? construire ?
Kéthévane DAVRICHEWY, Les séparées, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2012, pp. 42-43
Et toujours le jeu/concours pour gagner deux couronnes Roger-Bontemps ici !